Confier au jeune studio Level-5 le
développement du huitième épisode de la série RPG légendaire qu'est Dragon
Quest, voilà un pari que Square Enix a relevé et brillamment réussi. Volet
charnière qui plus est, parce qu'il marque l'arrivée en Europe d'un monument né
en 1986, père du J-RPG et si populaire que le gouvernement japonais a dû voter
une loi interdisant le lancement d'un nouvel opus de la série un jour ouvré,
pour éviter l'absentéisme au travail et à l'école. Avec à la fois son éternel
respect envers ses traditions et son envie de s'adapter pour plaire aux
Occidentaux, Dragon Quest VIII est une invitation à l'aventure, à
l'exploration, au plaisir, au rire, à la conquête d'un territoire trop souvent
perdu de vue malheureusement : notre âme d'enfant...
L'aventure débute dans un magnifique
bois vert, dans lequel le Héros (qui porte le nom que vous aurez choisi avant
de commencer votre partie) se voit tiré de sa paisible sieste par un gars
bourru, un peu sale sur lui, à l'accent londonien mauvaise graine et vêtu d'un
chapeau à pics et d'une tenue de brigand. Ce doux garçon, répondant au prénom
de Yangus, lance les premiers mots de l'aventure (« Shake a leg, guv' ! »), finissant de faire
référence au groupe AC/DC, et réveille notre Héros parce que le groupe qu'ils
accompagnent, un petit homme vert et un cheval, est attaqué par le plus
« terrible » monstre de la mythologie Dragon Quest : un slime
(gluant dans la version française). Une fois le menu fretin éliminé, la joyeuse
bande reprend son chemin pour rejoindre le village proche de Lontania, à la
recherche d'un voyant ayant les traits de Mr Satan de Dragon Ball Z, et qui a
malheureusement péri entre-temps sous les sorts du vil sorcier Dhoulmagus à
l'origine des maux qui ont touché le groupe. En effet, on apprend rapidement que
le petit homme vert et le cheval sus-cités sont en fait le roi Trodé et sa
fille, lesquels ont dû fuir leur château suite à une attaque du sorcier qui a
transformé ou pétrifié tous ses habitants, à l'exception du Héros qui a gardé
son apparence naturelle. L'aventure qui s'offre devant vous va vous permettre
de résoudre ce mystère et de vous lancer à la poursuite du mage noir, avec
l'aide bienvenue de Jessica, belle rousse au décolleté très plongeant à la recherche
de son frère, et de Angelo, soldat renégat de la Sainte Déesse et grand
séducteur devant elle, qui viendront tous deux rejoindre l'escouade après
quelques heures de jeu.
Respect des traditions
Les habitués de la série auront déjà
repéré dans le paragraphe précédent une foule d'éléments récurrents : un Héros
portant le nom de la partie (qui ne décrochera d'ailleurs pas un mot de toute
l'aventure), un slime comme premier adversaire, de l'humour, une histoire
simple voire manichéenne, un ennemi adepte des forces des ténèbres, un
chara-design signé Akira Toriyama, la place de l'église... Autant dire que l'on
est en territoire connu, et qu'on se sent tout de suite comme chez soi, si tant
est que l'on ait déjà goûté à la mythologie Dragon Quest, bien entendu. Pour
les nouveaux venus, ce n'est que le début de la découverte de codes éternels
qui ont participé au succès retentissant de la série sur le territoire
japonais, au premier rang desquels l'inamovible système de combat au tour par
tour. Générés aléatoirement, que ce soit sur la carte ou dans les donjons, les
affrontements vous mettront aux prises avec une ribambelle de monstres tous
plus attachants et délurés les uns que les autres, et vous proposeront
plusieurs options : combattre en choisissant manuellement les actions de
chaque personnage, fuir, crier pour tenter d'effrayer l'ennemi, ou encore laisser
agir vos petits protégés selon une stratégie type. Si le choix des actions de
chacun des personnages se fait selon l'ordre dans lequel vous les aurez disposés
territorialement, il sera par contre difficile de prévoir à coup sûr celui dans
lequel ils exécuteront leur tâche, parce qu'il semble être guidé à la fois par
une caractéristique de vitesse et par une part d'aléatoire.
Vous aurez ainsi à votre disposition les
classiques attaques physiques et sorts offensifs et défensifs, auxquels
viennent s'ajouter des compétences spéciales liées au type d'armes que vous
aurez sélectionné. A chaque level-up, le personnage se voit attribuer des
améliorations de ses statistiques, et entre 4 et 5 points de compétence que
vous devrez attribuer selon vos préférences à l'une ou l'autre des catégories
d'armes qu'il peut porter. Par exemple, pour le Héros, vous aurez le choix
entre booster ses capacités en combat à mains nues, à l'épée, ou encore au
boomerang (entre autres). A un certain niveau, vous débloquerez des compétences
spéciales, plus ou moins utiles il faut bien l'avouer. Il s'agit de l'un des
rares aspects de l'évolution des combattants que vous pourrez personnaliser,
l'équipe-type étant imposée, avec ces 4 personnages très complémentaires que
sont les polyvalents Héros et Angelo, la brute Yangus et la mage Jessica. Les
sorts se débloquent également une fois franchi
un niveau d'expérience précis. D'ailleurs, il est conseillé de passer quelques
temps à faire du levelling dès l'entame du premier donjon, le boss s'y cachant
étant particulièrement dur à battre si vous n'avez pas acquis le sort de soin.
Nouveauté notable et bienvenue : la possibilité de sauter un tour et de
mettre un personnage en tension dans le but d'augmenter sa puissance. Il existe
4 niveaux (5, 20, 50 et 100), le dernier étant franchi de façon aléatoire,
voire même très rarement au début, mais de plus en plus souvent avec la répétition.
Une pratique fastidieuse au départ, gratifiante à l'arrivée, mais toujours
risquée parce que la moindre altération d'état subie fait chuter le niveau de
tension à zéro.
A l'instar de ses aînés, Dragon Quest
VIII demandera de l'investissement pour vaincre certains boss et ennemis
puissants, même si la fréquence des combats et la difficulté semblent plutôt
bien dosées et adaptées à votre état d'avancement. Il vous faudra partir à la
recherche des fameux slimes de métal qui fourmillent de points d'expérience,
mais qui ont aussi la fâcheuse tendance à s'échapper et à n'être vulnérables
qu'aléatoirement. De plus, la monnaie se faisant plutôt rare, vous aurez
souvent la bourse un peu légère et vous serez ainsi amenés à vendre armes et
armures dans le but d'en acheter de meilleures (et plus onéreuses, bien
entendu). Certaines d'entre elles seront même accessibles seulement via le
Casino, avec le côté aléatoire que cela comporte. Mais heureusement, la fameuse
quête des mini-médailles, les différents et sympathiques moyens de transport
mis à disposition (du voilier à l'oiseau, en passant par la délirante panthère
qui vous permettra de parcourir la carte à vitesse grand V), la possibilité de
s'échapper d'un donjon ou de regagner une église déjà visitée via des sorts ne
nécessitant qu'une poignée de MP, la chasse aux monstres que vous proposera ce
cher Morrie (véritable fer de lance de l'anti-classe à l'italienne) et qui vous
permettra de bénéficier, une fois une certaine expérience dans le domaine
acquise, de l'aide en combat d'un groupe de créatures préalablement battues et
recrutées, ou encore la certitude de ne jamais voir d'écran Game Over (une
défaite en combat a pour conséquence de vous ramener au dernier point de
sauvegarde, avec la moitié de vos deniers, pensez donc à les confier à une
banque !) sont autant de points qui vous rendront ce point de levelling
plus facile à digérer. Parce que s'il y a bien une constante essentielle dans
la réussite d'un Dragon Quest, c'est bien cette volonté de faire ressentir au
joueur un grisant sentiment de liberté et un plaisir simple et détendu.
Une direction artistique inimitable et parfaitement pensée
Koichi Sugiyama est toujours aux
manettes de la bande originale du soft, et nous délivre sa musique si habilement
adaptée au contexte : joyeuse et entraînante au générique (« Intermezzo »), immersive lors de
l'exploration de donjons et des cieux (« Towers of mystery » et « Fly
to the heavens »), touchante lors des flash-backs douloureux (« These feelings » et « Overcoming painful times »), attendrissante
lors de l'exploration de certains villages de nuit (« Quiet Village »), ou encore Disneyesque pour accompagner nos
pas sur la carte (« To a vast
world »). Subtil mélange de sonorités simples et de morceaux
symphoniques, tout en gardant son appartenance au domaine des jeux vidéo, la
direction musicale est une merveille du genre et nous berce littéralement. A ce
joli cocktail pour cages à miel viennent s'ajouter les traditionnels sons
accompagnant certains passages récurrents (comme la sauvegarde, la nuit de
repos ou le passage à un niveau supérieur), et pour la première fois dans la
série, les voix des personnages. Hérésie pour les habitués, ce choix se
justifie certainement pour plaire aux joueurs occidentaux, et pleinement parce
qu'il donne vie au soft de façon indéniable. L'accent des personnages jouables
et non jouables, tel le britannique snobe du roi Trodé, le français sexy de la
fille en tenue lapin qui vous proposera de jouer au Pouch-Pouch (à vous de
découvrir ce dont il en retourne !), ou encore l'italien impayable de
Morrie participent pleinement à leur personnalité et donnent un incroyable
cachet humoristique au jeu, agrémenté qui plus est par les éternelles vannes
que s'échangent Trodé et Yangus, et par certains délires comme le « COR BLIMEY ! » (« Saperlipopette ! »),
petite scène prétexte à une grimace et intervenant toujours au bon moment pour surprendre
et détendre l'atmosphère, à la façon des running gags de Nicky Larson.
Cette expressivité transparaît aussi et
surtout à travers le remarquable chara design de Akira Toriyama, qui se marie
naturellement au talent de Level-5 en matière de cell-shading pour donner vie
au final à un véritable dessin animé, seulement gêné par l'aliasing inévitable
avec la PS2. Les traits des personnages (le Héros rappelle Sangoku et Angelo
plutôt Trunks par exemple), leurs mimiques et l'humour un peu potache issus de
la série Dragon Ball finissent de nous renvoyer à certaines références
culturelles typiquement nippones. On a également le plaisir de voir tout ce
petit monde s'animer au cours des combats, grande nouveauté de cet opus. Les
combats perdent un peu en dynamisme, mais c'est bien plus sympathique que ces
simples traits sur la tête des monstres signalant une attaque physique que l'on
nous servait dans les précédentes itérations. La tonalité et la diversité des couleurs
employées sont autant d'occasions de s'émerveiller devant le tableau final, qui
s'agrémente de supers décors en 3D, tous aussi vastes et divers les uns que les
autres. Les paysages sont très variés, et on parcourra avec un plaisir non
feint déserts, villages, ports, montagnes enneigées, grandes plaines vertes, rivières,
forêts, îles et nuages. On se surprendra à poser la manette pour attendre et
contempler le magnifique coucher de soleil, après avoir cherché le coin le plus
propice (attention toutefois, les monstres sont plus redoutables la nuit). La
découverte du vaste monde qui constitue l'univers de Dragon Quest VIII est une
partie de pur plaisir, rendue possible par ces magnifiques décors qui donnent
envie d'être explorés et de flâner, par les coffres dispersés ici et là, par les
monstres visibles que l'on pourra recruter pour Morrie, et par la cadence des
combats (desquels on pourra même s'immuniser une fois acquis le sort idoine)
savamment dosée pour faire la part belle à la promenade. Que ce soit dans les
cieux, sur terre ou sur les mers, Dragon Quest VIII est une invitation de tout
instant à l'évasion et à la rencontre. Rarement un J-RPG n'avait donné une
telle impression de grandeur et de liberté.
Une belle et longue aventure
Grande aussi est la durée de vie. Il
vous faudra dépasser la centaine d'heures de jeu pour venir totalement à bout
de Dragon Quest VIII. Outre les quêtes annexes déjà sus-citées, comme la chasse
aux monstres ou la recherche des mini-médailles, vos talents de cuisinier
seront mis à rude épreuve. En effet, assez tôt dans le jeu, vous aurez à votre
disposition une alchimarmite dans laquelle vous pourrez combiner certains
objets pour en créer un nouveau. Issu de Dark Chronicle et de son assemblage
d'idées, ce principe sera même indispensable à la génération des items les plus
précieux. Attention toutefois à ne pas laisser votre imagination vous jouer des
tours quant aux mix testés, vous pourriez créer des objets de moindre valeur
que les ingrédients, et ainsi y perdre au change. Heureusement, des recettes
sont parsemées par-ci par-là, particulièrement dans les bibliothèques qu'il
vous faudra parcourir, en plus de fouiller les traditionnels coffres, pots et
autres sacs de haricots à la quête d'objets. Une fois les ingrédients disposés
dans la marmite, la cuisson est lancée et vous pourrez en récolter le fruit une
fois que le « Ding ! » aura
retenti. Ce temps d'attente se verra écourté au fur et à mesure que l'alchimarmite
évoluera. Son stade ultime donnera même des résultats instantanés, et ne sera
disponible qu'une fois votre première partie de Dragon Quest VIII terminée. En
effet, c'est à ce moment-là que vous aurez accès à un nouveau monde qui sera
l'occasion de vous frotter aux ennemis les plus puissants et d'acquérir
l'équipement ultime du Héros, ainsi que de glaner les dernières informations
nécessaires pour débloquer la vraie fin du jeu. Ajoutez à cela tous les petits
à côtés qui vous seront proposés par les PNJ rencontrés dans les villes et
villages, et vous aurez de quoi vous occuper pendant longtemps.
Si le scénario pourra paraître à
certains un peu simple, voire simpliste, il n'en est pas moins vrai qu'il a le
mérite de poser un cadre enchanteur et reposant. Aidé par l'univers tout autour, et à
l'instar d'un Zelda, il ne dit rien d'autre au joueur que de se détendre et de
vivre une aventure directe, sans question compliquée à se poser. Armé de votre
courage et de votre envie de sauver le monde, vous voilà parti pour une quête
qui vous mettra aux prises avec les forces du Mal. On se sent à la fois pris
par la main et invité à découvrir par nous-mêmes le monde environnant. Bref, un
peu comme un enfant bercé par un conte ou qui gambade dans la forêt sous l'œil
bienveillant de ses parents, à l'affût d'endroits et de créatures
extraordinaires, et qui sait qu'il peut rentrer chez lui quand bon lui semble,
en toute quiétude et en toute sécurité. Il en va de même pour les donjons, tous
plus mystérieux, intrigants et immersifs les uns que les autres.
Dragon Quest VIII apparaît comme un ami
diablement fidèle, que ce soit par rapport à ses prédécesseurs, ou au joueur
qu'il invite à vivre une aventure aux règles simples et aux senteurs d'évasion,
sans trahison aucune, que ce soit dans le scénario ou les mécaniques de jeu. Certains
pourront lui retourner une partie de ces arguments et lui reprocher son manque
de customisation et de contrôle sur l'évolution de l'équipe de combattants, ou
encore son côté old-school dans l'histoire et le système de combat, mais force
est de constater que le soft réussit le pari de nous faire découvrir avec des
yeux d'enfants une série vieille comme le J-RPG. Le tout par la grâce d'une
direction artistique infaillible, d'une excellente durée de vie et de
nouveautés bienvenues et savamment distillées. Assurément, Dragon Quest VIII
fait partie de ces jeux qui continueront à vivre en nous des années après y
avoir joué, à travers le souvenir impérissable qu'ils laissent, leur musique
qu'on ne se lasse pas d'écouter, leur patte graphique indémodable et l'aventure
qu'ils nous ont fait partager.